Fruit de démarches de longue haleine, le projet d’aire de passage pour les gens du voyage suisses au Mont-sur-Lausanne se heurte à une forte méfiance. Quarante oppositions ont été déposées et une pétition lancée. Au Mont-sur-Lausanne, un emplacement s’étendant sur 2700 m² devrait accueillir de mars à octobre jusqu’à 15 convois de Yéniches, gens du voyage suisses, dès ce printemps.
Au Mont-sur-Lausanne, un emplacement s’étendant sur 2700 m² devrait accueillir de mars à octobre jusqu’à 15 convois de Yéniches, gens du voyage suisses, dès ce printemps. Présenté à la fin du mois de novembre, ce projet inédit en Suisse romande fait néanmoins des vagues et prendra vraisemblablement du retard: le canton et la commune ont reçu 40 oppositions au 6 janvier, date de la fin de l’enquête publique, a fait savoir l’Etat de Vaud. Deux sont collectives.Le Temps a rencontré un des fers de lance des contestataires, un habitant montais qui veut garder l’anonymat. Il avait exprimé sa contrariété avec ardeur lors de la houleuse séance d’information publique. Deux jours plus tard, il a lancé une pétition en ligne contre la place de transit et fait le piquet devant La Poste de la commune durant tout le mois de décembre, interpellant les passants. Ce résident a récolté plus de 1400 paraphes et remettra le tract en mains propres au canton ce vendredi. Il explique son hostilité vis-à-vis du projet: «Ce n’est pas normal que la population doive payer une place réservée à des gens qui ne sont pas dans le besoin. S’ils la payaient eux-mêmes, il n’y aurait pas de problème.»
Le canton débourse 500 000 francs
D’un coût total de 660 000 francs, l’aire, qui comportera douches et WC ainsi qu’une clôture, sera financée à hauteur de 150 000 francs par la Confédération et de 15 000 francs par la Fondation «Assurer l’avenir des gens du voyage suisses». Les 495 000 francs restants seront payés par les contribuables vaudois. L’opposant argue: «C’est le principe! Nous avons été mis devant le fait accompli, sans être consultés.» Il propose d’ouvrir l’aire à toute la population ou d’organiser un référendum.
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L’homme pointe également du doigt des nuisances liées aux va-et-vient des caravanes et un impact écologique. Sise dans une zone industrielle du Mont-sur-Lausanne, au nord de la commune, l’aire pourrait porter atteinte à l’image des entreprises qui y sont installées, selon lui. «Des patrons me soutiennent et songent même à partir, affirme-t-il. L’endroit pourrait donner lieu à des incivilités, voire des conflits entre communautés, qui sait?»
Yéniches inquiets
Pour la communauté yéniche, l’heure est à l’inquiétude: «On savait qu’il y aurait des oppositions, mais 40 c’est beaucoup», dit son porte-parole, Albert Barras, le ton grave. Celui qui est antiquaire déplore le fait que les opposants méconnaissent souvent la réalité des gens du voyage suisses: «On nous traite de voleurs, alors que nous sommes des citoyens suisses, payons nos impôts et travaillons comme tout le monde.» Selon Albert Barras, les Yéniches sont, à tort, associés aux Roms, deux peuples aux cultures très distinctes.
Même si les oppositions devaient être levées, il craint des représailles le jour où lui et ses pairs pourront investir la place: «Il est déjà arrivé qu’on nous jette des objets dessus.» Le Fribourgeois constate une forte méfiance en Suisse romande, où les places réservées aux Yéniches étaient jusqu’à présent inexistantes, alors qu’outre-Sarine «ça se passe très bien». Il compte organiser une rencontre avec la population montaise.
Cinq ans de démarche
Etienne Roy, préfet du Jura-Nord vaudois et chargé par le canton de trouver des aires d’accueil pour les gens du voyage, raconte la difficulté de dénicher un tel terrain. Cinq ans et des centaines de contacts ont été nécessaires pour aboutir au projet du Mont-sur-Lausanne: «Il faut que ce soit une zone à bâtir, que la commune ou le propriétaire donne son aval, que ce ne soit pas trop isolé ni trop près de quartiers d’habitations.»
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A leur arrivée, les Yéniches devront s’annoncer auprès de la police pour être enregistrés. Ils paieront «25 francs par jour et par convoi». Cette taxe permettra de couvrir les frais de fonctionnement. Quant aux supposées nuisances, Etienne Roy les conteste: «Les Yéniches ont toujours collaboré avec les autorités. Ils maintiennent les terrains mis à disposition propres et sont discrets.»
Le canton doit maintenant dépouiller les oppositions pour voir s’il leur donne suite ou non. Ce dernier scénario semble probable: «Le projet étant simple sur le plan technique, il y a peu de possibilités de l’attaquer à ce niveau», dit Patrick Genoud du Service du développement territorial. Des séances de conciliation ne sont toutefois pas exclues. En cas de non-accord, les voies de recours habituelles (Tribunal cantonal, Tribunal fédéral) sont prévues.
Les Yéniches, une minorité nationale
Environ 30 000 Yéniches vivent en Suisse, mais seuls 3000 sont nomades. Vaud compte une vingtaine de familles yéniches. Souvent artisans, ils se déplacent durant la belle saison au gré des mandats et se posent en hiver dans la commune où ils paient leurs impôts. Ils font l’armée et leurs enfants sont scolarisés. Les reconnaissant comme minorité nationale, la Confédération doit s’assurer de leurs bonnes conditions de vie. En Suisse romande, les Yéniches demandaient depuis longtemps une place qui leur soit réservée. Ils évitent en effet les emplacements mixtes, comme à Rennaz, près d’Aigle (VD), sources de «fortes tensions». «Nous vivons autrement que les Roms, c’est difficile de cohabiter», dit Albert Barras.